Le coloc' temporaire de la chambre qui avait remplacé Shimeku pour dix longs mois de cours, soit à peu près une année scolaire, était ni archi-cool ni super-chiant. C'était juste le gars banal, un peu sans visage, à qui on disait bonjour sans forcément vouloir en savoir plus. Puis surtout, il parlait pas bien japonais. Et encore moins allemand. P't'être un peu d'anglais mais de toute façon, ça aurait pas intéressé Lewin le moins du monde. La petite brune qui était l'officielle coloc' de Lewin, elle, était partie d'un jour à l'autre, apparemment jugée trop encombrante pour le pensionnat dont le niveau volait pourtant pas très haut. C'qui est marrant, c'est qu'elle faisait autant de conneries que Lewin, p't'être un peu moins, et qu'elle s'était faite virer avant lui. Parce que pour l'Allemand, c'était qu'une question de jours - semaines, à la limite - avant qu'il se fasse définitivement jeter d'ici à coup de pieds dans les tibias. Y a des fois où c'était tellement une teigne que lui-même s'étonnait d'avoir quand même à pioncer dans un lit le soir. Peut-être que c'était ça, la punition, finalement.
Toujours est-il que l'exclusion à coup de pieds judicieux n'est pas arrivée il s'est avéré que Lewin avait apparemment construit son avenir de pauvre-gamin-mis-à-la-rue-par-son-pensionnat sur de faux espoirs. Pas que ça lui aie tiré quelques larmichettes, mais il aurait bien aimé être viré en même temps que sa camarade de conneries. Ca lui aurait fait du bien. Et au Pensionnat aussi.
Ce gars banal, donc, qu'on voyait le matin et le soir, qu'on croisait parfois dans les rues de la petite ville, avait disparu autant d'un jour à l'autre que Shimette. Bien-sûr, on l'avait vu préparer ses valises, jeter ses feuilles de cours, et tout c'qu'on fait quand on se barre d'un endroit aussi pourri que le poil de cul qui traîne sous la cuvette. Mais on n'avait pas d'explication. Peut-être qu'il avait juste fini sa seule année ici, ou son programe d'échange, ou qu'est-ce que j'en sais.
La soirée s'était pas spécialement bien passée, mais elle avait pas été mauvaise non plus. De toute façon, toutes les nuances sont simplemnt différentes teintes de banalité, avec Lewin. C'est jamais hyper cool, c'est jamais hyper nul. C'est jute au milieu, sans rien d'plus. Alors la soirée était sympa, sans rien d'plus. Et la journée, ç'avait été un dimanche ordinaire, à construire des petites boîtes en Lego, un mobile en origami pour faire plaisir au prochain qui en voudrait, et rejoindre quelques potes au coin d'un feu illégal pour vider quelques bières, puis rentrer chez soi. Des journées de gamin, des soirées d'ados. Rainer vit de ça, et il sait pas si ça lui va, mais en tous cas il continue.
Et le dimanche soir, on tente de s'coucher tôt pour être d'applomb le lendemain. Même si le lendemain, c'est jamais la première occupation de Lewin, c'te fois il a quand même tenté de rejoindre ses couettes de bonne heure. 22h, la tête qui tourne, après un bon plat de pâtes, il pionce déjà comme un bébé.
Et là, y a des canards volants qui viennent bouffer tous ses origamis, voler toutes ses bières et lui chier sur le nez. Ca l'énerve, forcément, et encore plus quand ces putain de canards viennent se poser sur son épaule. Franchement, non, il était occupé à tenter de rattraper ses origamis déchirés, et les maisons on Lego c'était même pas la peine. Il manquait plus qu'une nana à la silhouette fine entre dans la chambre en gueulant des trucs incompréhensibles. Sérieux, et ses origami ? Et il ouvre les yeux, il s'dit que c'est peut-être pas le moent de penser à ces conneries, peut-être qu'il vaudrait mieux mettre les mains en l'air comme la voix qui gueule le conseille, ou bien virer la propriétaire de c'te voix de son lit, histoire de finir sa nuit tranquillement. Il réfléchit vaguement, enfin tente, et se dit que c'est peut-être une blague. Mais il est en 3e année, les grands sont en retard de deux ans quand même pour le bizutage. Ouais, ça doit être une blague.
« J'ai rien à voler, m'dame, et j'ai pas triché aux exams, je le jure ! »Peut-être qu'il serait aussi intéressant de s'demande qui est la personne qui vient de lui sauter dessus. Pas qu'il aime pas que des inconnues aterrissent dans son lit, mais il préfère au moins avoir une idée de leur tête. Alors il se penche vers l'arrière, appuie sur l'interrupteur de sa lampe de chevet et reconnaît une bouille plutôt attendrissante. Sérieux, avec cette tête, ça peut pas être un vrai hold-up, qu'il se dit. Puis les vrais cambrioleurs sont des ninjas. Ses yeux s'ouvrent un peu mieux et en deux secondes, il reconnaît sa coloc' disparue. Shimeku ! Il la serre dans ses bras et lui ébouriffe les cheveux, soudainement plus réveillé que quelques secondes auparavant.
« Toi, par contre, t'as triché aux exams. » P't'être que c'est pour ça qu'elle s'est fait virer.
Il observe sa trombine et s'dit qu'elle a bronzé, qu'elle semble moins fatiguée mais pourtant toujours prête à faire des blagues qui font presque peur, et des conneries qui valent clairement le coup.
Les messages et mails un peu débiles qu'ils s'étaient envoyés pour raconter leurs conneries et les colères de leurs professeurs n'avaient pas suffi à Lewin à s'dire que c'était tout aussi bien sans elle. Non, franchement, elle lui manquait dans ses expéditions, et il avait pas réussi à se trouver d'autres copain de galère. Shimeku était éternelle pour ça, et infiniment bien plus douée pour fouiller dans la salle des profs. Puis avec elle, c'était pas grave de s'faire choper, juste marrant. Plus ou moins.
« Raconte ! » Il s'met en tailleur sur le lit, la couette remontée jusqu'au épaules, attendant le récit de sa pote. Il sait qu'elle était chez elle, mais bien trop loin pour avoir une idée d'où, au milieu de c'te Terre immense.