Une fleur à l'abandon. - posté le Ven 18 Juil - 17:34
Un bel avant-midi ensoleillé, peut-être un peu trop.
La chaleur était suffocante, ce n'était pas les canicules d'Espagne, mais tout de même... Accompagné de sa mère biologique, Nate était devant l'entrée du pensionnat Rayen. Elle détestait le silence entre eux, aussi s'évertuait-elle à parler de tout et de rien pour combler le fossé. C'est un pensionnat formidable, tu verras. Tu t'y plairas j'en suis sûr. Je t'aurais bien envoyé dans une école privée typiquement japonaise, mais je comprends que tu ne te serais jamais senti à l'aise dans cet environnement. Ici, c'est la diversité. Et blablabla. Nate l'écoute d'une oreille distraite, son attention est tournée vers la grande bâtisse qui le mangerait bientôt tout crue. Son cœur bat très très fort dans sa poitrine, il a des sueurs froides, ses mains sont moites et ses lèvres sont sèches. Le jeune homme savait qu'elle allait l'oublier ici, même si elle lui avait promis qu'il ne faisait qu'une petite visite de courtoisie, voire s'il aime l'endroit. Le directeur du pensionnat leur fit un rapide tour du propriétaire avant de discuter plus en profondeur des frais et autres détails administratrices avec sa mère. Il resta à l'extérieur du bureau, sentant l'étau se resserrer sur lui. Il ne put s'empêcher de sursauter lorsque la porte s'ouvrit derrière son dos. Il se retourna et, voyant le sourire victorieux sur les lèvres de sa mère, il se savait vaincu. Elle le laissait ici.
« Le directeur est d'accord pour t'insérer au sein du pensionnat... aujourd'hui même! Tu pourras te faire des amis plus facilement pendant les vacances... on sait tous les deux, vu ta condition, que ce n'est pas chose facile pour toi. En plus... »
Nate ne l'écoutait plus. Un bourdonnement dans ses oreilles l'assourdissaient. Il hochait la tête de temps à autre pour imiter une écoute active. Elle le quitta donc devant le bureau et l'assura qu'elle enverrait ses effets personnels le plus rapidement possible. Le directeur lui offrit un sourire désolé en voyant sa mine déconfite et l'amena dans son dortoir. Tout le monde semblait s'entendre pour dire que c'était la meilleure option pour l'aider à s'accommoder et se faire des amis. Mais personne ne lui avait demandé s'il voulait s'en faire, des amis. Si on le lui avait demandé, il aurait répondu que ce n'était pas une priorité dans sa vie, à l'instant. Dès qu'il put se soustraire à la présence du directeur, il erra dans le pensionnat, à la recherche d'un endroit paisible où il pourrait réfléchir.
Au bout d'un quart d'heure, Nate se retrouva dehors, dans les jardins. L'endroit était magnifique et idéal pour broyer du noir et faire quelques crises de panique. Son cœur ne cessait de se débattre et il commençait à se sentir nauséeux. Retourner vers sa mère au Japon fut l'erreur la plus stupide qu'il n'ait jamais commise. Maintenant, il était coincé avec cette femme fausse et froide, alors qu'il y avait une famille aimante qui l'attendait en Espagne. Enfin... Plus maintenant. Il les avait trahi et jamais ils ne voudraient le reprendre... Pas après la déception... la trahison... les regards d'Anna et Renaldo...
« Je suis qu'un pauvre con. »
Dans sa tristesse, il était revenu à son espagnol et à sa grande surprise, ça lui faisait un bien fou. C'était comme replonger dans ses racines... Enfin, ses racines adoptives. Il se surprit quand même à parler tout seul à voix haute et il se dit que si quelqu'un avait été là, il aurait pensé.. qu'il... était... fou. Oh merde. En vérifiant qu'il était bel et bien seul, Nate remarqua une tête brune pas loin. Le jeune homme se glaça. Raide comme une statue, il observa la paire de yeux qui s'était posée sur lui. Merde, merde, merde, merde, merde, merde. Une litanie de qu'est-ce que j'fais, qu'est-ce que j'fais, qu'est-ce que j'fais empli son cerveau, l'empêchant de réfléchir normalement. C'est un garçon, il a l'air plus âgé que lui, et ça l'intimide.
« Ee-euh... »
Et l'oscar pour l'attitude la plus alien de la journée est décerné à... Nate Andreas! Sans savoir pourquoi, les paroles du directeur et de sa mère biologique lui reviennent en tête : il faut te faire des amis. Ce n'était pas sa priorité, ni sa matière forte, mais une connaissance dans ce milieu inconnu ne pourrait pas faire de mal... non? Et puis, il devait combattre ce diagnostic. Il se tortilla les mains, regarda par-dessus son épaule à droite, à gauche, retourna son attention vers l'inconnu. Trois grandes inspirations. Cette petite chorégraphie devait être vachement ridicule du point de vue du brun. Nate osa quand même un petit signe discret de la main.
« S-s-Salut! »
Il tenta un sourire qui ressemblait plus à une grimace de crise cardiaque et sa voix était si faible qu'il doutait que l'autre l'ait entendue.
Arthur Madeck Club de Natation
Messages : 156 Date de naissance : 13/05/1997 Date d'inscription : 04/06/2014 Âge : 27 Job : Etudiant Côté coeur : Léger Personnage en trois mots : Un beau bordel
Carte d'identité Année scolaire: Troisième Année Dortoir & numéro de chambre: Dortoir B - Chambre n°04 Colocataires: Torri T. Takura & Haru Sayuri & Ayako Yozora
Re: Une fleur à l'abandon. - posté le Ven 18 Juil - 23:13
Chacun a sa propre façon de passer le temps. Certains jouent aux jeux vidéo, quelques-uns se baladent et d’autres écrivent. Arthur ne fait rien de cela. Lorsqu’il a du temps à perdre, il ère jusqu’où ses pieds veulent bien le traîner. Il lit ensuite quelques contes, histoire d’alimenter plusieurs heures de rêves. Parfois il compose aussi des petits airs pour son violon ; mais bien souvent, il se contente d’observer. Les fleurs, l’herbe qui se couche sous le vent, la pierre qui s’érode sous l’appétit de la rivière, l’abeille qui danse un tango avec les marguerites, il s’intéresse à tout. Arthur est comme ça, d’une humeur égale, toujours curieux de tout, jamais déçu de rien. Et cette journée ne fait pas exception ; le pas léger, il marche dans les allées des jardins de l’internat. Il s’arrête parfois lorsqu’une fleur attire son attention, lit son nom sur la petite affiche prévue à cet effet et repart. Voguant de fleur en fleur, l’une d’elles attire soudainement son regard. Il la contemple essayer de fuir l’espace qui lui est réservé, de se sauver loin des sentiers déjà battus pour elle, de se dérober de ses obligations. Il regarde sa belle couleur rouge, s’approche pour sentir son odeur et s'aperçoit qu'elle n’a pas de parfum. Surpris, le jeune homme la cueille délicatement et la glisse doucement entre son index et son pousse. Il jette un coup d’œil vers le panneau explicatif et lit : « coquelicot ». Satisfait, il continue sa route aux côtés du coquelicot, se perd un peu entre les différentes allées du jardin, puis finit par s’asseoir entre deux cerisiers.
Du creux de la main, il caresse la pelouse, l’esprit complètement englouti dans ses pensées. Il rêve de coquelicots, des champs de blé de son enfance, un peu de sa sœur, beaucoup des vacances qui arrivent. Il soupire longuement. Cette année, pas de Fest-noz pour lui ; il doit suivre les cours d’été, n’ayant rien foutu pendant les neuf mois de l’année scolaire. Il a bien essayé de marchander avec ses parents ; rien à faire, il est coincé, bloqué, piégé au Pensionnat Rayen. Déjà qu’il aime peu l’école, ça va pas s’arranger. D’un revers, il couche quelques brins d’herbe sous sa paume. Et il sursaute légèrement lorsqu’il entend une voix s’élever des jardins. Il ne comprend pas ce qu’elle raconte, mais c’est pas grave car de toute façon, elle a déjà fini de résonner. Ce dont il est sûr, c’est qu’elle sent le Sud, qu’elle lui rappelle des accents jusqu’alors oubliés. Il jette un œil vers son propriétaire et croise le regard basané d’un jeune homme, à peine plus jeune que lui. Arthur lève doucement sa main vers lui, comme pour le saluer à distance, mais interrompt rapidement son geste. Il a l’impression que le gars devant lui va défaillir, qu’il va se casser la gueule sous son nez s’il fait le moindre geste. Il rabaisse donc doucement sa main, ne voulant causer un évanouissement involontaire et se contente d’observer ce visage pâle jurant sur son regard affolé. Il ignore ce qui l’effraie autant alors, lorsque le garçon commence à regarder à droite et à gauche à la recherche d’on ne sait trop quoi, Arthur ne peut s’empêcher de jeter, lui-aussi, un regard par-dessus son épaule. Qui sait, peut-être qu’il y a un monstre dans ces jardins. Ne voyant rien d’anormal, il jette un nouveau regard vers le jeune homme et lève le pouce, comme pour dire, t’inquiètes gars, je gère. Y’a rien ici non plus.
De loin, il le voit bouger des lèvres, mais il n’entend pas le son qui en sort. Alors, Arthur s’imagine qui le remercie d’avoir vérifié qu’il n’y avait pas de monstre. Le Breton se contente alors de lui rendre ses remerciements par un signe de tête lent. Il choisit ensuite de se relever, ses genoux commençant à chauffer à force d’être restés inactifs trop longtemps. S’appuyant sur ses poignets, il se relève avec lenteur, prenant bien soin de ramasser, au passage, son petit coquelicot. Maintenant qu’il lui a détaché sa tête de ses jambes, il serait dangereux de le laisser jaillir comme ça au sol. On sait jamais, c'est un coup à se retrouver écrasé sous une semelle. Et ce serait dommage, surtout parce que ça serait de sa faute. Ecartant momentanément ces pensées inutiles, Arthur adresse un sourire doux au garçon. Il a peur qu’il s’effondre, qu’il lui claque entre les doigts. Alors, comme pour le dissuader de tomber dans les vapes, le Français lui dit, avec la douceur d’un murmure :
« Ca va … ? T’as pas l’air bien. »
Puis, comme pour un fauve qu’on essaie de charmer, le jeune homme tente un pas en avant. Puis un autre. Lentement, il s’approche du jeune homme à pas feutrés. Il ne veut pas le brusquer ; y’a des gens comme ça, dans le monde, qui ont une grande bulle autour d’eux et qui refusent qu’on la pénètre. Alors, le garçon s’arrête au bout de deux pas, histoire de ne pas le mettre mal à l'aise. Parce qu’Arthur est comme ça, il n’aime pas brusquer les gens. Tout comme il déteste qu’on le presse. Partant du principe que prendre du temps, c’est en gagner, il ne bouscule jamais. Un peu trop doux, il laisse les autres s'en charger pour lui.
« T’es perdu ? Tu cherches quelqu’un ? »
Usant, abusant de sa douceur innée, Arthur glisse sa main dans sa poche, comme pour lui signaler qu’il ne doit pas s’inquiéter, qu’il n’a pas l’intention de lui sauter dessus pour l’étranger. Ça peut paraître ridicule, mais y’a des gens qui pensent que le monde entier veut leur mort, qui croient que tout être humain se balade avec un couteau dans l’optique de saigner le plus de personnes possible. À chacun sa façon de passer le temps.
Invité Invité
Re: Une fleur à l'abandon. - posté le Mar 22 Juil - 4:35
Pourquoi ce pouce qui se lève? Pourquoi ce hochement silencieux de la tête? Nate ne comprend pas la réaction du jeune homme et les questions défilent dans son crâne à vive allure, augmentant significativement le niveau de stress, déjà bien élevé. Il prend plusieurs inspirations pour se calmer et vaincre ce démon, comme le lui avait appris Anna, sa mère, la vraie. Un jour, elle l'avait prise à part, alors qu'il était en pleine crise d'anxiété. Elle lui avait pris les mains, elles étaient chaudes et douces contre les siennes, et l'avait incité à l'imiter, à respirer profondément et calmement. Elle fredonnait un air quelconque et tout de suite, il revenait à un état moins... pathologique. À l'évocation de ce souvenir, une nouvelle vague déferla sur lui, l'engloutissant de cette mélancolie anxieuse dont il a le secret. Il ne remarqua pas que le jeune homme devant lui s'était redressé doucement. Ce n'est que lorsque sa voix lui parvint qu'il retomba sur Terre.
Son regard se posa de nouveau sur l'inconnu et il se sentit désarmé, presque nu, alors que l'autre s'avança doucement vers lui. Il y avait quelque chose de très... calculé, réfléchi... dans les gestes de l'adolescent. C'était, bien sûr, une approche qui en valait une autre, mais surtout la meilleure approche dans le cas de Nate. Il ne se sentait pas attaqué, ni brusqué, ni bousculé... Cependant, le sentiment d'être inadéquat, étrange, de ne pas être perçu comme les autres s'amplifiait exponentiellement. On le prenait avec des gants blancs parce qu'il n'avait pas les mêmes capacités sociales que les autres. On le forçait à rester tout un été dans un pensionnat inconnu, entouré d'inconnus, pour améliorer ses capacités de communications interpersonnelles. On s'avançait à pas de loups vers lui, parce qu'il pouvait s'effondrer à tous moments, démonstration de sa fragilité et de son incapacité à vivre en communauté comme les autres. Les gens étaient pour lui des miroirs. Des miroirs rivés vers sa personne, reflétant la vérité, les qualités, mais surtout, les défauts. Ils le rappelaient toujours à l'ordre : tu es différent, inadéquat et destructible.
Lorsqu'il lui demanda s'il était perdu ou cherchait quelqu'un, ce sentiment d'oppression et de chute libre se dissipa doucement, centimètres par centimètres. Nate sentit de la sincérité, et une douceur lui rappelant beaucoup celle d'Anna, dans la voix du jeune homme. Aussitôt, sa respiration se fit moins saccadée et les battements de son cœur reprirent une allure presque normale. Tranquillement, il essuya la paume de sa main contre ses jeans et humecta ses lèvres sèches. Maladroitement, Nate réalisa qu'il était resté silencieux un peu trop longtemps après que la question soit posée. Une rougeur apparut sur ses joues, contrastant violemment avec son teint pâle.
« Ee-euh, non. Non, non! Je suis nouveau. Je viens d'arriver au pensionnat. Je me promenais pour visiter un peu. Comme une sorte de touriste, tu vois! Ma mère, elle... elle m'a jetée ici. Elle s'est pas vraiment quoi faire avec moi, alors... Je crois qu'elle préfère me garder loin. Je devais normalement juste visiter, mais le directeur a approuvé une entrée précipitée. J'espère que mes affaires arriveront à temps demain... J'ai pas très envie de me promener avec des vêtements sales et - »
Nate réalisa soudain qu'il parlait vite, les mots s’enchaînant à la suite les uns des autres, trébuchant entre eux et contre eux. Cela ne faisait probablement aucun sens pour l'inconnu. Il devait le trouver étrange, stupide ou bien les deux. Ce ne serait pas une surprise s'il s'enfuyait en courant ou prétextait une soudaine envie de chier pour s'éloigner au plus vite de lui. Ça ne serait pas la première fois. Ni la dernière, selon toute évidence. Néanmoins, il ne voulait pas laisser de silences, de blancs, il devait parler, s'imposer, continuer d'exister. Les silences le mettaient mal à l'aise, mais les conneries qu'il débitait tout autant. D'une façon ou d'une autre, il n'était jamais gagnant. Ses yeux sombres se posèrent sur lui, il l'étudia rapidement. Il était grand, brun, avec une charme bien particulier... Un charme exotique. Il n'était pas japonais. Tout comme Nate. Du moins, Nate, s'il en avait l'apparence typique, ne l'était pas à l'intérieur. Aussi, se raccrocha t-il à ce détail, ce point d'ancrage, pour une potentielle conversation normale.
« Tu... tu n'es pas d'ici, non? Je veux dire, du Japon? »
Et, tout au fond de lui, une voix lui criait ; Mais tu vas te taire!?
Arthur Madeck Club de Natation
Messages : 156 Date de naissance : 13/05/1997 Date d'inscription : 04/06/2014 Âge : 27 Job : Etudiant Côté coeur : Léger Personnage en trois mots : Un beau bordel
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Re: Une fleur à l'abandon. - posté le Sam 2 Aoû - 16:55
Arthur, c’est pas l’genre à s’ennuyer d’un silence. Y’a bien trop de bordel dans sa tête pour qu’on puisse espérer qu’un instant de flottement le déstabilise. Au contraire, il préfère largement qu’on le laisse réorganiser tranquillement ses idées en silence, plutôt qu’on l’assomme avec du bruit. Alors le silence du jeune homme, il s’en fout comme de l’an quarante. Il se dit qu’il parlera lorsqu’il en aura le temps, ou lorsqu’il parviendra à rattraper cette respiration qui semble le fuir. C’est pas lui qui irait le presser, de toute façon. La main coincée dans son pantalon, il l’observe, en profite pour lui inventer une vie. Des frères, des sœurs, des sourires, quelques déboires et surtout une passion. Pourquoi pas le dessin ? Oui, le dessin ça a l’air bien. Lentement, Arthur comble le silence par la tempête de ses idées. Parce qu’on ne dirait pas, mais sous ses airs de type qui comprend rien à rien, ça bouge là-dedans. Ca contemple, décèle et déchiffre. Il ne cesse son investigation que lorsqu’il s’aperçoit que le teint du jeune homme reprend peu à peu de sa couleur. Au fond, ça le soulage un peu ; il commençait à craindre une hypoventilation.
La réponse du garçon le déstabilise complètement. Il s’était attendu à un : « Oui, j’uis pommé », ou peut-être à un : « Je cherche [remplir avec la destination désirée], c’est où ? », ou encore à un poétique : « Occupe-toi de tes fesses », mais certainement pas à une tirade de cette ampleur. Le jeune homme le submerge de paroles, le noie dans un tas d’informations sans lien et Arthur ne sait plus trop sur quoi se concentrer. Le pensionnat, sa mère, ses fringues, il perd carrément le fil. Le seul truc qu’il pige, c’est qu’il a une mère incompétente. Et ça, ça lui tire un petit sourire empathique. Il sait ce que c’est : il a la même chez lui. Pris d’une sympathie pour le nouveau, il hoche la tête. Il voudrait répondre qu’il comprend, qu’il doit pas trop s’en faire, qu’ici c’est un enfer endurable comparé à une mère incompétente, mais surtout, qu’il doit respirer. Mais le garçon ne lui accorde par le temps d’un conseil : il enchaîne déjà avec autre chose. Faut dire aussi qu’Arthur est assez lent à réagir. Alors si beaucoup pense trouver chez lui une oreille attentive, c’est juste qu’on ne lui laisse jamais le temps d’en placer une.
« Tu... tu n'es pas d'ici, non? Je veux dire, du Japon? »
La volonté irrépréhensible du jeune homme à décaniller le silence le fait doucement sourire. Il se dit qu’il n’est vraiment pas tombé sur la personne, parce que s’il y a bien une personne qui se fout éperdument du silence ici, c’est bien lui. En même temps, il aurait pu tomber sur bien pire. Genre, sur un de ces mecs bourré de testostérones qui te bouscule et cherche la baston. Mais il aurait pu tomber sur bien mieux, comme sur une de ces filles qui te fait complètement déconner par la force d’un seul regard. Et ce n’est pas ça qui manque au Pensionnat. Chassant ces images d’un hochement de tête, il pose son regard sur la fleur qu’il tient encore en main et la tend avec douceur à l’inconnu. Ca ne fait pas très masculin et très mature, mais il s’en fout complètement. Suivre les conventions, ça n’a jamais été son truc. En fait, il est plutôt du genre à leur adresser un doigt d’honneur bien senti et se foutre de la gueule de ceux qui s’en offusque.
« Non, je suis Breton. »
Et là, il se rend compte que ‘Breton’, ça veut pas dire grand-chose pour quatre-vingt dix-neuf pourcents de gens. Il pointe alors son doigt en direction du pensionnat et explique, comme on donne un cours bancal de géographie :
« Si tu continues tout droit, en maintenant bien le cap, t’arrives chez moi. »
Bon, c’est pas tout à fait vrai, mais lui ça lui plait d’imaginer le monde comme ça. Même en omettant complètement qu’entre l’île nippone et l’Armorique, y’a un peu quelques milliers de kilomètres de terre que l’on nomme Amérique. Et que c’est seulement après avoir dépassé le Nouveau-Monde qu’on peut se trouver nez-à-nez avec la Bretagne. Et ça, c’est si on se casse pas la gueule contre les falaises de l’Irlande. Il soupire légèrement, puis ajoute avec une pointe de dédain dans la voix :
« C’est en France. »
Et hoche de la tête, comme écrasé sous le poids de cette fatalité. Faut dire qu’il ne les a pas encore digérées, les tentatives d’assimilation parisiennes. Comme il n’a pas encore digéré le fait que sa mère ait choisi de le déraciner de son pays, pour le foutre dans ce pensionnat pourri à l’autre bout du monde. Parfois, il se demande même si tout ceci n’est pas qu’une vengeance, un peu fourbe, pour le faire payer de ne pas être le fils qu’elle espérait. Faut dire qu’il s’est toujours obligé de se tenir loin des standards de sa caste. Troquant l’arrogance aristocrate pour le je-m’en-foutisme populaire, l’ambition pour l’indifférence, il l’a bien fait déconner, sa mère, à foutre en l’air toutes ses tentatives pour le faire agir comme un homme digne de son rang. Faut pas s’étonner après, qu’elle le foute à la casse dans cette école merdique. Alors oui, d’un côté il comprend un peu le malaise du garçon. C’est pourquoi il fait pas son salaud en lui racontant qu’ici, c’est l’enfer. Qu’il doit se méfier de tout, même des profs qui sont peut-être les plus grands salauds de cet univers. Mais il le fait pas ; il préfère pas trop jouer sur les nerfs du nouveau. Alors il passe un petit sourire amusé sur ses lèvres et tend sa main pour se présenter en bonne et due forme.
« Bienvenue en enfer, du coup. Mon nom c’est Arthur Madeck. Il fait une petite pause, puis continue, comme pour devancer une question muette, inhérente à la culture japonaise : Choisis le nom que tu veux, ça n’a aucune importance. »
Il garde quelques instants sa main tendue pour que l’autre la serre, puis passe une clope entre ses lèvres. Il tend son paquet vers le garçon, lui laissant le choix d’en prendre une ou non, puis l’allume lentement.
« Oh et ne t’’inquiètes pas, tu n’es pas seul ici. Beaucoup se sont fait lâcher par leurs parents. »
Bien sûr, il se garde bien de préciser que c’est précisément la raison pour laquelle il pourrit ici. Il préfère enchaîner sur une idée bien plus agréable :
« Tu veux que j’te fasse visiter ? »
D’un coup de tête, il désigne l’internat. Bien entendu, il se gardera bien de lui montrer les recoins les plus chiants, se focalisera seulement sur les trucs les plus cool. Parce qu’Arthur est comme ça, il ne s’emmerde pas avec les détails les moins agréables. Il n'a qu’une vie et il ne veut surtout pas la gâcher.
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