La vie de Maë, c’est un peu flou. On va procéder par dates.


Une femme hurle dans une salle d’hôpital. Accouchement, comme d’hab. Et maintenant, les cris d’un bambin. Une petite fille s’approche, elle n’est pas bien vieille, et elle découvre le visage de sa petite sœur. Toute attendrie, elle affirme que ce bébé ressemble à son père, un père qui n’est plus là, ayant lâchement pris la fuite en apprenant la seconde grossesse de sa femme. Néanmoins, il faut admettre qu’un nourrisson, de quelques minutes, ressemble davantage à du saucisson qu’à autre chose. Le nouveau-né regardait frénétiquement autour de lui. Sa sœur sautillait par terre, fascinée par ses iris d’un rouge flamboyant.

- Maë ! Maman maman ! Faut l’appeler Maë !


La mère invite ses filles à venir à table. Pour leur faire plaisir, elle leur a préparé un immense plat de frites. Le truc sympa, quoi. Les gamines accourent, et sans attendre, saisissent la nourriture à pleine poignée, en mettant absolument partout. Maë observe faire sa sœur, Valérie
[ BWAHAHAHAHA ] et, comme elle, enfourne ses frites dans son nez avant de plonger la tête dans la cruche d’eau. Leur mère les regarde, mi écœurée, mi amusée, tentant en vain de les faire manger normalement.


Comme on s'ennuie, dans une chambre d'hopital. Les secondes durent des heures, les minutes des années. Elle est enfouie sous la couette, frissonnant. Il fait froid. Même à l'intérieur. Ou alors est-ce simplement son corps qui réagit ainsi ? Quoi qu’il en soit, Maë se sent gelée. Elle fixe la perfusion à son bras. Elle en a marre, elle souhaite être chez elle, ou même en cours. Une infirmière pénètre dans la pièce et vient s'asseoir sur son lit, à ses côtés.

- Comment te sens-tu ?
- J'ai froid...
- Il va falloir que tu avales quelque chose aujourd’hui, tu progresses déjà. L'anorexie ne se soigne pas en restant à jeun...

La gamine hausse les épaules, l’infirmière se lève, quittant la chambre. Elle ferme les yeux. Elle ne sent presque pas mon corps, elle ignore si elle est endormie ou pas. Finalement, une odeur de nourriture lui fait ouvrir un oeil, puis l'autre. Elle regarde devant elle. Le plateau sur roulettes est posé au-dessus du lit, une assiette et une pomme à côté. Elle en regarde le contenu. De la purée et un steack trop cuit. Bah... La nourriture n'est jamais bonne, à l'hôpital. Elle s’empare de sa fourchette, prenant un peu de purée, ouvrant la bouche, puis avalant. C'est chaud et agréable. Elle en reprend un peu, mais, au bout de cinq bouchées, elle ne se sent plus capable d'avaler quelque chose. Elle n’a plus faim. Elle pose sa fourchette sur le plateau et ferme les yeux, commençant à se rendormir.


Ça vient tout juste de sonner, ils entrent en cours de mathématiques. Elle est dans un nouvel établissement, cette année, le précédent ayant refusé de la reprendre. Elle sent bien que les gens gardent une certaine distance par rapport à elle. On lui fait des remarques sur ses vêtements. Ce sont pourtant eux qui s'habillent bizarrement à ses yeux. Elle n'a pour le moment pas vraiment d'ami, simplement des gens avec qui elle bavarde de temps à autres, mais elle sait que deux ou trois personnes l'apprécient. Elle regarde autour d’elle, tout le monde semble se faire royalement chier, dans un cours aussi ennuyeux que peut l'être celui d'arithmétique. Finalement, elle se décide à raviver un peu cette ambiance. Depuis la rentrée, elle se retient, sous les supplications de ma mère, mais là, la tentation est telle qu’elle ne peut résister davantage. Elle saute de sa chaise et commence à faire le moonwalk en chantant Billie Jean. Le professeur la regarde avec des yeux ronds comme des billes. Par la suite, elle s’approche de lui en riant, extirpant un feutre rose de sa poche pour lui faire un cœur sur la joue. Elle se tourne vers la classe pour leur faire découvrir son stupide " cri de guerre " :

- WAZAAAAH !

Elle se jette sur le bureau du premier rang, s'étalant dessus, morte de rire, attrapant tous les cahiers qui lui passent sous la main pour les jeter dans la corbeille à papier. L'enseignant lui crie déjà d'arrêter. Quel rabat joie ! Elle lui tire la langue, commençant à danser la macarena, debout sur une table du fond. La salle de classe voisine, affolée par ce bruit, tape sur le mur, et ils ne tardent pas à voir arriver le professeur de Français. La voyant faire, une expression incrédule sur le visage, il lui ordonne finalement de sortir. Après qu’elle lui ait demandé une bonne raison de faire cela, le professeur de Mathématiques hurle :

- ON-SE-TAIIIIIT !

Ils sursautent tous. Le prof de Français lui refait signe de sortir, et elle obéit à contrecœur, claquant la porte. Laissant derrière elle une classe plus que déconcentrée. Elle est sûrement virée pour deux bonnes semaines.


Elles sont dans le salon, tranquilles. Maë joue à la playstation, tandis que sa sœur peint sur son chevalet et que sa mère lit un livre. Finalement, l'écran lui piquant les yeux, la gamine abandonne sa manette pour aller observer l'œuvre de sa sœur.

- C'est censé représenter quoi ?
- Une jeune femme.
- On dirait un poivron...

Oui, elle a toujours été directe, mais sa sœur en a l'habitude, c'est pourquoi elle rigole et lui ébouriffe les cheveux. Leur mère prend alors la parole.

- Les filles, j'ai quelque chose à vous dire...

Elles tournent la tête pour la regarder. Elle semble inquiète, ou préoccupée. Ses filles ne l’ont jamais vue ainsi, cela les intrigue, et elles hochent la tête, lui laissant comprendre qu’elles sont prêtes à entendre toute déclaration.

- Maë, je n'ai pas pu te trouver d'établissement ici, comme tu l'as vu... Je pense que pour toi, un établissement avec un bon encadrement de la part des professeurs, et un peu plus de sévérité serait l'idéal. J'espère vraiment que tu ne vas pas mal prendre le fait que j'aie pris la décision seule... Tu iras étudier au Japon, dans un pensionnat appelé Rayen.

La désignée marque un temps d’absence, clignant des yeux. Elle n’arrive pas à réaliser ce qu'elle vient de dire. Le Japon ? C'est ... Irréel. Tout ce qu’elle trouve à dire est qu’elle ne maîtrise pas encore totalement la langue locale, mais sa mère a déjà réservé sa place dans l'école pour l'année prochaine. Maë se jette sur elle pour l'embrasser sur les deux joues, aux anges, ne cessant de la remercier. Elle ne devait pas s'attendre à cela... Immédiatement, elle court dans sa chambre pour appeler son amie. Elle qui a toujours rêvé de voyager ! Elle va enfin changer d'air.