On doit être une œuvre d’art Ou bien porter une œuvre d’art.
Il pleuvait. Toutefois, ce n’était pas le genre de pluie désagréable qui ne fait qu’inonder les plus basses entrées, non. C’était une fine pluie douce, qui semblait plus s’évaporer du ciel que d’y tomber en grosses gouttes. Cette pluie-là, elle ne me gênait pas. Cependant, comme à peu près n’importe quoi dans la vie, cela ne plaisait pas à tout le monde. Ma mère, par exemple, avait eu l’intention, hier en soirée, d’aller visiter aujourd’hui le jardin de glace. C’était une énorme exposition d’art contemporain qui se situait juste de l’autre côté de la ville. Habituellement, les grandes sculptures d’acier étaient brillantes au soleil d’été, mais avec l’arrivée annuelle de l’hiver, le parc fermait ses portes. Néanmoins, un brillant jeune homme avait eu l’idée de les rouvrir pour partager à tous ce jardin d’hiver moderne. En effet, les statuts, sculptures et décorations florales qui prennent tous leur beauté l’été se verraient transformées en œuvres glacées. Le verglas avait eu raison des feuilles, la glace avait entourée le fer et la neige avait recouverte les étangs et le gazon habituellement d’un vert parfait. Tout cela additionné donnait une splendeur extérieure, mais, bien évidemment, la pauvre petite pluie avait détruit la journée si bien bâtie de ma mère. La peine qu’elle avait ne lui venait pas du fait de voir sa journée à l’eau, mais bien de ne pas avoir la chance de sortir un peu ma petite sœur, Jane. Effectivement, ces derniers jours elle restait enfermée dans sa chambre, ne sortant que pour venir dîner ou pour aller lascivement à l’école. L’adolescence, que mon père dit, la paresse, que je dis.
Quoiqu’il en soit, j’avais la ferme intention de ne pas faire comme mes parents et me vautré dans la maison à regarder la télévision ou encore faire le ménage. Je fixais la rue mouillée de par ma fenêtre et, me décidant enfin, j’allais vers la porte d’entrée. Enfilant mon imperméable, je regardais ma sœur descendre les escaliers. Un seul regard commun nous fit à toutes les deux comprendre qu’il était tant mieux que je quitte la maison pour aujourd’hui. En effet, notre relation n’avait pas été tout rose ces derniers temps. Elle avait ces sautes d’humeur qui la rendait insupportable et qui, par le fait même, me rendait amère. J’enfilais mes nouvelles bottes noires. Les talons étaient légèrement moins hauts que la majorité des pairs de chaussures que je possède, mais il me fit quand même monter de quelques pouces. Je pris un parapluie dans ce petit seau en métal que nous gardions près de la porte, et avant de quitter, mon père m’arrêta net. Tu vas où comme ça? M’avait-il demandé. Quelque part, avais-je répondu. Et ta sœur, emmène-la, ça pourrait vous faire du bien une journée ensemble. Je crispais sur place. Il était sérieux et il n’y avait aucune façon que je puisse ignorer l’austérité de cette requête. Serrant les dents, je regardais ma sœur s’avancer lentement vers la garde-robe de l’entrée, presque comme une condamnée vers la potence. Franchement, il ne s’agit pas d’une peine à mort, mais bien d’une sortie moyennement agréable sous une fine pluie moyennement déplaisante.
Ma sœur avait cette manie de me voler mes chaussures. Je ne rechignais jamais lorsque mes parents étaient autour, mais il me fit plaisir de lui faire la leçon sur ses habitudes de kleptomane une fois dehors. En route vers le musée, je ne lui rendis pas un mot, ne la regardais même pas, me contentant de fixer mes belles bottes en cuir qu’elle avait si maladroitement chaussées. Talons plats, cela la rendait indiscutablement plus petite que moi. Néanmoins, j’en prenais avantage, étant celle qui était sur le piédestal, pour me prendre plus haute qu’elle, plus vieille qu’elle, plus facile à faire tomber qu’elle… À la mention du musée, elle failli perdre pied, me proposant par la suite plusieurs autres endroits dit plus amusants que ce dernier. Je refusais catégoriquement, lui rappelant que c’était ma sortie. Et, de plus, les portes du musée en question étaient ouvertes gratuitement au public aujourd’hui, je n’avais pas l’intention de passer à côté sans y jeter un coup d’œil. Nous entrons donc dans cette grande bâtisse qui semble du dernier millénaire. Une fois sur le plancher de marbre, ma sœur trainait les pieds et malgré qu’il y ait une vingtaine de personnes dans le hall, je ne pouvais m’empêcher de grincer des dents en entendant cette outrance venant de ses petits pieds de joueuse de soccer. Certes, l’art n’était pas son passe-temps favoris, mais elle devra faire un effort. À la guerre comme à la guerre, prenons cela comme un paiement pour compensé toutes les parties de soccer auxquelles j’ai dû assistée. Justice soit rendue.
À peine dans l’allée du contemporain, elle soupirait grandement et souvent, comme si l’air ambiant était irrespirable. Elle exagérait toujours, ma sœur. Jane avait ce talent de faire pitié pour tout le monde, sauf moi. Je continuais ma route, lisant et analysant chaque description d’œuvre. Intéressant, c’était des sujets qui me fascinaient, mais rapidement ma sœur avançait devant moi et ne jetait qu’un seul coup d’œil aux pièces, s’attardant beaucoup plus à regarder son téléphone portable. Je levais les yeux au ciel et poursuivais ma route vers l’allée du Rococo. Personnellement mon genre préféré, j’admirais les fins coups de pinceau vaporeux. Il y avait cette fine intimité dans ces œuvres. Une luxure désirable et, pourtant, presque invisible. L’art subtil, l’art profond mais profane, l’art délicat mais si grossier. À peine avais-je détaché mes yeux du tableau que ma sœur était assise plus loin, sur un banc au coussin rouge. Elle ne lâchait pas son bidule électronique, ce qui, ma foi, m’enrageait. Une honte pour les artistes, pour le musée et pour moi.
Je fronçais les sourcils amèrement, puis me décidant, j’allais la voir et impulsivement, sans réfléchir, je clamais presque qu’elle était une pauvre enfant égoïste qu’elle n’avait pas à chercher de raison pour laquelle nous ne nous parlons plus, elle était sûrement l’adolescente la plus détestable que j’ai jamais rencontrée. J’ai d’ailleurs ajoutée qu’il me faisait honte de l’appeler ma sœur. Étrangement, je ne regrettais pas ces mots. Ils étaient venus dans mon esprit sans y penser, alors ils devaient forcément être véridiques. Jane se leva d’un bon, me lança un regard noir et, n’osant sûrement pas répliquer, elle quitta la salle, rageante. Soupirant un bon coup, j’envoyais mes yeux vers l’arrière. Je me retournais pour voir que personne ne m’avait aperçu, mais, à ma surprise, une jeune femme était dans le coin de la pièce. Bon, évidemment, maintenant c’est moi qui passe pour la mauvaise personne. Avec une certaine gêne, je remontais les manches de mon imperméable, agrippais plus solidement mon parapluie et, tout en me grattant la nuque, j’essayais de passer naturelle. Tout le contraire s’émanait de moi, sauf la colère qui bouillait toujours au plus profond de mon être.
La philanthropie est la sœur jumelle de la pitié.
Kris Reischesberger Aucun Club
Messages : 67 Date de naissance : 23/03/1997 Date d'inscription : 05/10/2013 Âge : 27 Job : Etudiante à plein temps. Côté coeur : Attend l'amour sur le sable chaud. Personnage en trois mots : Riche, lunatique, jolie.
Carte d'identité Année scolaire: 3e année Dortoir & numéro de chambre: Dortoir B - Chambre n°01 Colocataires: Rihei Matsudate - Jolene Evans - Harry Lorcane
Re: « L'Hiver des chicanes » [Pv; Kris R.]- posté le Ven 31 Jan - 23:59
Il pleuvait. Elle entendait le doux son des petites gouttes qui cognaient doucement contre la grande fenêtre de sa chambre comme pour l'inviter à sortir. Elle retira ses lunettes et les posa sur la table, se massant le cartilage du nez. Cela faisait bientôt quatre heures d'affilées qu'elle était penchée sur cette partition, son violon calé entre son menton et son épaule, tentant désespérément de jouer correctement cette symphonie qu'avait crée sa mère en l'honneur de ses vingt-trois ans de mariage avec son père. Il lui fallait le reconnaître, sa mère était une femme bien trop douée pour qu'elle puisse ne fut-ce que songer à reproduire cette mélodie romantique et entraînante.
Elle se leva de son tabouret et chancela avant de se rattraper de justesse en écartant les bras pour retrouver un semblant de stabilité. Elle était restée assise trop longtemps, son corps ne répondait plus aux ordres de son cerveau. S'assurant qu'elle tenait bon sur ses deux pieds, elle se dirigea vers la salle de bain et se fit couler un bain mousseux. Nous étions samedi en début d'après-midi et malgré la pluie qui tombait sur le pensionnat, son dortoir semblait vide de toutes âmes, ce qui lui convenait parfaitement. Elle s'allongea dans l'épaisse mousse aux senteurs fruitées et entama de décontracter chacun des muscles de son anatomie. Plongée dans les méandres de son esprit, elle repensa à la dernière fois qu'elle avait pris un bain dans le manoir familiale. C'était il y a très longtemps, quand Luka était encore de ce monde, qu'elle pouvait encore passer sa main dans ses cheveux blonds et qu'elle l'entendait rire pendant qu'il la pourchassait dans les longs couloirs tricentenaires de la vieille bâtisse...
Elle resta dans son bain une heure environ, prenant plaisir à laisser la nostalgie l'envahir. Quand elle se releva, l'eau avait fripée sa peau et elle était douce et chaude comme celle de sa grand-mère. Elle enroula une serviette éponge autour d'elle-même et s'observa minutieusement dans le large miroir de la salle de bain commune. Elle ressemblait autant à sa mère que Luka à leur père. Elle passa une main dans ses longs cheveux de jais que son petit-frère aimait tant brosser, observa ses grands yeux bleus sombres qui tendait à l'aubergine dans certaines situations et fut saisit de son regard. Troublant, il n'affichait aucune expression, que ce soit de la tristesse ou de la confusion. Elle savait bien que ses émotions étaient au point mort, morts en même temps que son cadet. Elle tenta un sourire: elle ressemblait au Joker dans Batman. Cette pensée la fit partir d'un bon éclat de rire qui résonna contre les parois de la salle aux hauts plafonds.
« Voilà, tu es bien mieux quand tu souris, Kris . » se dit-elle avec la voix de son cadet.
Elle retourna dans sa chambre habillée d'un peignoir assorti à sa serviette. Elle prit son ordinateur et consulta ses mails, ce qu'elle faisait rarement. Après avoir effacé les innombrables messages de propositions de partenariat avec des sociétés -comme si elle avait besoin d'argent en plus...-, elle tomba sur celui d'un vieil ami de la famille. Elle avait, comme au Moyen-Âge, été promise en mariage à son fils, mais ce fut annulé dès l'annonce de l'homosexualité de ce dernier. Cela avait soudé les deux familles qui n'en entretenaient que de meilleures relations. Charles, de son prénom, l'invitait à l'une des expositions d'art du compagnon de Benjamin, son fils, qui se déroulait non loin. Elle vérifia la date et l'heure avant de confirmer in extremis sa présence. Elle afficha un énorme sourire en clapant son ordinateur portable : elle allait enfin revoir du beau monde! Non que les Japonais qui l'entouraient étaient d'une quelconque mauvaise compagnie, mais il est toujours plus agréable d'être en présence des siens.
Elle se leva et se dirigea vers sa penderie qu'elle savait gorgée de robes pour ce genre d'occasion. Une fois n'est pas coutume, elle opta pour une jupe noire bleue plissée tombant dix centimètres au dessus de ses genoux et un pull rouge très foncé et cintré avec un col U aux manches trois quarts qu'elle accessoirisa avec un collier à piques fantaisie rouge, bleu et doré. Elle enfila des bas transparents noirs ainsi que des bottines « plate-formes » à lacets de la même couleur. Elle laissa tomber sa chevelure en cascade sur ses épaules et appela un taxi en direction de la ville. Le véhicule s'arrêta et elle gratifia le conducteur d'un généreux pourboire. Elle était de bonne humeur et le faisait savoir.
Elle entra dans la grande bâtisse vieille d'au moins mille ans, et s'arrêta devant la beauté du musée. Comme à chaque fois, James se surpassait. Il s'agissait d'une sorte de jardin gelé où la glace avait recouvert la moindre parcelle de terrain, se dressant ci et là en statues de verre ou sculptures en cristal. Il y avait aussi de veilles peintures dont certaines qui provenaient directement de chez elle. La neige donnait à l'endroit une atmosphère féerique, on se serait cru dans un livre d'enfants où tout est beau et brillant. Ses talons résonnaient sur le marbre de carrare tandis qu'elle se promenait entre les oeuvres de son ami. Elle lui envoya un message pour lui proposer de dîner ensemble avec Benjamin pour leurs faire part de ses impressions. Elle rangea son téléphone portable dans son sac à main et continua sa visite. Elle s'absorbait tellement dans sa visite qu'elle fût bousculer par une jeune fille plus préoccupée par son cellulaire qu'autre chose. Elle ne releva pas l'impolitesse de l'adolescente, puisque c'est de ça qu'il s'agissait, et continua.
Quelques instants plus tard, des bruits de jeux qui l'agaçaient profondément la tirèrent de nouveau de sa rêverie. Elle tourna les yeux en direction d'une banquette en cuir matelassé rouge ou sa "bousculeuse" était assise. Elle s'apprêtait à aller voir la jeunette, mais une jeune femme la devança d'un pas énergique et énervée. Elle éleva la voix, traitant la plus jeune de pauvre enfant égoïste et d'autres mots de la sorte. A écouter ses paroles, Kris comprit qu'elles étaient soeurs. Après la tirade venimeuse, la cadette quitta la pièce, fumante de colère mais pas autant que son aînée. L'autre partie, celle qui restait se retourna, sûrement pour voir si quelqu'un avait assister à la scène familiale qui venait de se dérouler dans le sanctuaire d'art contemporain. Son regard balaya la salle avant de venir s'accrocher à celui de Kris qui ne détourna pas les yeux un instant, prenant soin de la détailler de haut en bas. Elle avait de longues jambes qui ne contrastaient pas avec son corps élancé. Elle possédait également des cheveux noirs corbeaux et des yeux bleus océan lourdement maquillés qui ressortaient sur sa peau blanche.
Kris ne la quitta pas du regard pendant qu'elle avançait droit vers elle, la démarche souple et élégante, son aura d'assurance ne la quittant jamais. Elle se posta devant la jeune femme qui lui ressemblait physiquement et plongea ses yeux dans les siens, un petit sourire respectueux se dessinant sur ses lèvres écarlates.
« Bonjour, je m'appelle Kris. J'ai vu et surtout entendu ce que vous disiez à votre soeur. Je tenais à vous remercier de l'avoir rappeler à l'ordre. Les ados de nos jours... soupira-t-elle. Il y a-t-il une raison particulière à son comportement aussi... irrévérencieux ? »
L'Allemande se doutait bien que cela ne la regardait pas, mais il valait mieux qu'elle sache avant que son agacement ne la pousse à poursuivre l'impertinente pour la remettre en place une seconde fois.