Depuis le temps qu'il est inscrit à Rayen, Rihei s'est toujours débrouillé pour dormir ailleurs. Pas qu'il n'apprécie pas ses camarades de chambre - en fait, en dehors de leur nom et d'une photo entraperçue à un moment ou un autre, il ne connait pas grand chose d'eux - non, le problème, en fait, vient plus de la structure en elle-même que des colocataires. Il n'a jamais aimé les dortoirs. L'idée de partager une chambre avec d'autres personnes ne lui plait pas des masses. Déjà que les quatre de base, c'était limite, mais avec le tremblement de terre et le déplacement du bâtiment B, ils sont encore plus nombreux. Alors il a développé ses relations et ses tactiques pour avoir toujours un autre endroit où dormir.
Sauf ce soir.

Ce soir, il va devoir dormir entouré d'autres personnes, qui refuseront sûrement qu'il laisse la porte où la fenêtre ouverte - de toute façon, il n'aurait même pas osé poser la question - et il y a peu de chances qu'il réussisse à dormir. Et quand bien même il y arriverait, ce serait pour faire des cauchemars, ce qui n'est pas plus glorieux. C'est donc avec tout un tas de pensées défaitistes en tête que Rihei se retrouve dans les couloirs du dortoirs A, à la recherche de sa chambre tout en faisant son possible pour ne pas la trouver. Et s'il dormait dans la buanderie ? Ou ailleurs, n'importe où, mais pas ici ?

Il secoue la tête. Pour quelqu'un qui se targue d'être adaptable à toutes les situations, il trouve extrêmement désagréable de ne pas pouvoir s'adapter à celle-là. Même si, en soi, il n'a peur ni de la foule ni des espaces clos, un dortoir reste un espace public - moins peuplé, certes, mais public quand même - et la simple idée de dormir dans un lieu public lui donne des sueurs froide.

Voilà ta chambre, Rihei. Il soupire, pose la main sur la poignée en prenant une grande inspiration. Bon, ça ne doit pas être bien plus difficile que de s'opposer au caïd du collège pour protéger une fille, non ?
Si, ça l'est beaucoup plus. S'il ne peut même plus être naturel là où il dort, il ne peut l'être nulle part. Malgré tout, il parvient à ouvrir la porte, entre.

Il y a déjà quelqu'un à l'intérieur. Bon, ça pourrait être pire. La nuit est loin d'être tombé et, pour l'instant, il n'y a qu'une seule personne. Une fille. Que faire, maintenant ? Entrer discrètement, d'installer dans un coin et faire comme s'il n'avait rien vu ? C'est très loin de son caractère naturel. Non, lui il serait plutôt du genre à...

"Salut !" s'entend-il dire, "moi c'est Rihei, et toi ?"

Plus qu'à espérer qu'elle l'a entendu entrer et qu'il ne lui a pas fait peur. Et aussi qu'elle ne va pas lui balancer une remarque acerbe à la figure.

[Désolé pour le délai atrocement long, mais j'ai pas une minute à moi depuis des siècles ><]

Elle ne dit rien et Rihei serre les dents pour ne pas tourner les talons et s'enfuir en courant. Il peut peut-être retourner dormir quelque part _ n'importe où, mais pas dans un dortoir. Un endroit désert, où personne ne viendra le déranger. Non ? Non.

Parce que finalement, elle lui sourit, et il décompresse un peu. Bon, il a paniqué pour rien. Un peu pour rien, oui. Décompresser, se calmer, ne pas sombrer dans la paranoïa.

« Je m'appelle Kris, enchantée. Sois le bienvenu dans notre chambre. »

Elle lui fait la bise, et Rihei a un instant de flottement. Il n'est plus vraiment habitué aux contacts physiques, étant donné qu'il s'est efforcé de jouer les ermites ces derniers temps. Enfin, s'il veut reprendre les bonnes vieilles habitudes, autant commencer maintenant.

Déjà, fermer la porte. Il entend les gens parler et marcher dans le couloir et ça le rend nerveux. Puis il se demande si c'était vraiment un bonne idée : il se retrouve dans un lieu plus ou moins public, et il vient de fermer sa seule possible échappatoire. Mais il remarque que sa colocataire a une cigarette dans la main et que, du coup, la fenêtre est ouverte. Son coeur, qui commençait à se serrer, se relâche aussitôt et il retrouve son sourire.
S'adapter.

La première chose qu'il remarque une fois son angoisse passée, c'est qu'ils sont seuls. Un point positif : moins de monde, ça fait moins de stress. Et avec un peu de chance...

"Tu es toute seule ? Quelqu'un d'autre va arriver ou ?..."

Ou les autres ont déserté la chambre ? Ce serait une bonne nouvelle, il n'a pas très envie d'avoir trop de monde autour de lui la nuit.

Elle se demanda si elle avait bien fait de lui faire la bise, après tout les contacts physiques directs étaient un truc d'Européens. Tant pis. Elle retourna s'asseoir sur le rebord de sa fenêtre pour faire sécher ses orteils et terminer sa cancéreuse. Elle songeait à se replonger dans ses pensées quand il ouvrit la bouche pour la deuxième fois. Il avait l'air un peu coincé. Elle se demandait si elle l'intimidait, ce qui était fort improbable puisqu'il ne devait pas savoir qui elle était. A moins qu'il n'est fait une perquisition et déterré un dossier épais comme sa tête ? Ça y est, elle recommençait à être parano. Elle souffla longuement un nuage de nicotine pour se donner une contenance, il ne fallait pas effrayer le petit nouveau dès le départ.

"Tu es toute seule ? Quelqu'un d'autre va arriver ou ?...

"Logiquement nous sommes censés être quatre, mais grâce à la Providence, Harry et Joliene sont plus du genre à découcher. Tu les verras sûrement demain matin, ils passent toujours pour prendre leurs cours. Désolée, peut-être que tu aurais voulu les rencontrer ? Je peux leur envoyer un message si tu veux."

Quatre... Ca fait beaucoup trop de monde pour lui. Ils ne dorment pas ici ? Il n'aurait pas pu rêver mieux. Moins il y aura de personnes autour de lui quand il dort, mieux il se portera. Du coup il répond assez vite.

-Non, ça ira.

C'est pas un peu violent, comme réponse ? Genre "non, je veux pas les voir". Il réfléchit un peu. Et s'il disait la vérité... en partie ? Ca le ferait sûrement paraître un peu moins asocial ou agressif. Ou beaucoup plus. C'est un pari à tenter, après tout. S'il doit revenir dormir ici plus souvent (le moins souvent possible, quand même), il préfère être lui-même. un maximum, en tout cas.

-Je suis pas super à l'aise quand il y a trop de monde... Enfin non, disons que j'aime pas trop les lieux publics aussi fermés si c'es trop peuplé.

Trop peuplé par trois personnes, bah oui bien sûr. En même temps, il n'a jamais su expliquer cette phobie qui lui tape assez souvent sur les nerfs.

Elle observait un couple en s'embrasser sous un arbre de la cour, et songea que certaine personne ne savaient vraiment pas se tenir en public.

-Non, ça ira. Je suis pas super à l'aise quand il y a trop de monde... Enfin non, disons que j'aime pas trop les lieux publics aussi fermés si c'est trop peuplé.

Elle rit légèrement à cette remarque. Trois personnes étaient effectivement "trop peuplé" à ses yeux aussi. Un sourire étira un coin de ses lèvres et elle détourna la tête vers la fenêtre pour ne pas qu'il pense qu'elle se moquait de lui.

-Je comprends, je n'aime pas non plus être entourée. C'est pour ça que j'ai les meilleurs coloc's de la Terre, je ne les vois que dix minutes par jour, et c'est suffisant. Oh, mais ne va pas croire que je ne veux pas de toi dans cette chambre, hein !, je ne veux pas que tu penses que tu déranges. Au contraire, parfois c'est un peu trop vide, et le vide est propice aux réflexions, et réfléchir, dans certains cas, c'est néfaste. Enfin bref, ne fais pas toujours attention à ce que je dis, j'ai tendance à me perdre dans mes pensées même quand je parle. Désolée, soupira-t-elle en baissant la tête.

Elle écrasa son mégot dans son cendrier en porcelaine et se leva pour atterrir sur son lit.

-Tu viens d'où au juste ? Je veux dire, tu ne dois pas vivre dans le coin si tu dors à l'internat.

Bon, il l'a fait rire, ça fait un point positif. Sauf si elle se moque de lui mais vu qu'elle enchaîne en disant qu'elle n'est pas non plus super à l'aise avec des gens autour d'elle, il préfère conclure que ce n'était pas de la moquerie. De l'empathie, peut-être. En tout cas ça lui fait plaisir de savoir qu'il n'y aura pas trop de monde et que la seule personne présente n'a pas l'air de le trouver ridicule.

Comme il se sent idiot à rester planté devant la porte, il finit par s'avancer vers la fenêtre, vu qu'elle est partie s'asseoir sur un lit, et s'asseoir sur le rebord, à sa place. Là, il est plus près de la sortie, et il n'est pas debout sans bouger comme une andouille.

-Mes parents habitent ici... Mais ils ont décidé que je devais vivre en internat quand même... Pour "m'intégrer".

Ça ne marche absolument pas, d'ailleurs : il a mis un temps fou pour mettre les pieds dans sa chambre et il est cent fois moins intégré que dans ses précédentes écoles. Surtout qu'il n'osait jamais venir frapper à leur porte le soir pour leur dire qu'il refusait de dormir là-bas et qu'il voulait rester chez eux pour la nuit.

Elle le regarda pendant une longue minute, et comme s’il s’était animé d’un coup, il se déplaça vers la fenêtre.
 
Elle se demanda brièvement ce qu’il entendait par « s’intégrer » mais ne pose pas de question, ça ne la regardait pas après tout, et elle avait bien remarqué que le jeune homme semblait extrêmement mal à l’aise et à deux doigts de s’enfuir. Elle pouvait comprendre, bien que son problème se situe dans le sens contraire : c’est chez elle qu’elle ne se sent pas à l’aise, à côté de la plaque. Elle l’était sûrement. Elle ne s’était jamais sentie moins oppressée qu’à 12h d’avion de chez elle.
 

-J’espère que tu y arriveras un jour. C’est vraiment désagréable de ne pas trouver sa place… Mais t’y arriveras, lui répondit-elle en souriant timidement.

Désagréable de ne pas trouver sa place... Il n'a jamais eu ce problème avant aujourd'hui. A croire que ses parents sont incapables de comprendre à quel point cette situation l'angoisse, et lui incapable de ne pas faire passer sa fierté avant sa stabilité mentale. Il a toujours eu le don de s'adapter à tout le monde et à toutes les situations. Peut-être qu'il réussira à s'adapter à celle-ci.

-On verra...

Alors il cherche son coin de la chambre et commence à s'installer, rangeant ses affaires dans l'armoire qui lui est réservée. Il ne saura qu'en essayant, alors autant commencer bien. Peut-être qu'il finira par oublier qu'il s'agit d'un lieu public. Après tout, ils ne sont pas plus nombreux dans cette chambre que chez lui, et il est séparé de monde extérieur par une porte fermée. Ce n'est pas si différent. Et puis sa colocataire n'est ni intrusive, ni envahissante, ni exubérante. Ouais... ce n'est peut-être pas si terrible, après tout.